Nourritures terrestres et spirituelles : quand manger devient un acte de sens

 

La revue Littérature, Art et Langue, dans son 7ᵉ volume (2025) consacré aux « Nourritures terrestres et spirituelles » et publié sur le Portail des Revues Scientifiques Marocaines, se propose d’interroger une évidence dérangeante : derrière un geste ordinaire en apparence – manger – se déploie une forte charge symbolique, culturelle et spirituelle. Pour ce faire, elle croise les regards de chercheurs issus de différents champs disciplinaires : littérature, linguistique, études culturelles, sociologie, théologie et anthropologie.

Dès la préface, Bernadette Rey Mimoso-Ruiz pose les jalons d’une réflexion transversale où l’aliment n’est plus seulement un besoin physiologique mais un signe, un langage, un lieu de mémoire. Cette perspective irrigue l’ensemble du numéro.

La dimension sacrée de l’alimentation est abordée à travers plusieurs contributions majeures. Bernadette Rey Mimoso-Ruiz, dans « Le poisson : du symbole méditerranéen à la nourriture sacrée dans le monde chrétien », revient sur la portée spirituelle de cet aliment fondateur du symbolisme chrétien. En écho, Tarik Charouk, dans « Le Coran, source de nourriture holistique », met en lumière la conception coranique de l’alimentation comme équilibre entre le corps, l’âme et l’éthique.

La littérature occupe une place centrale dans ce numéro. Adil Ridah et Abdellah Elhoulali analysent « Les nourritures terrestres et spirituelles dans l’œuvre de Tahar Ben Jelloun », révélant comment l’aliment devient métaphore de la quête de sens et de l’ancrage culturel. Abdellah Elhoulali, dans une autre contribution, interroge « La nourriture comme symbole identitaire et vecteur de création artistique dans la littérature marocaine d’expression française ».

Les pratiques culturelles marocaines sont également mises à l’honneur. Abdelfattah Hachimi, dans « Le thé dans la culture marocaine », explore le rituel du thé comme incarnation de l’hospitalité et de la générosité. Fatima Ezzahra Chahid et Noreddine Hanini analysent « Les pratiques culinaires comme enjeu fondamental de l’identité judéo-marocaine », tandis que Nadia Abekiri s’intéresse à la table et au rituel du shabbat dans les villes de Tétouan et Essaouira, en soulignant sa dimension spirituelle et communautaire.

La langue amazighe occupe une place remarquable dans ce numéro. Amal Oussikoum, dans « Les métaphores alimentaires en amazighe », met en évidence la nourriture comme vecteur d’identité et de résistance. Abdelaali Talmenssour propose un corpus parémiologique tachelhit-français consacré à l’alimentation, tandis que Hassan Serrar et Amal Oussikoum étudient la polysémie alimentaire à travers les termes udi et aggu dans le parler des Ayt Wirra.

La faim, dans sa dimension existentielle et sociale, est abordée par plusieurs auteurs. Mustapha Bourhim analyse « La figure de l’affamé dans Le Ventre de Paris d’Émile Zola et La Faim de Knut Hamsun ». Elmehdi Elmaouloue s’intéresse au symbolisme alimentaire et aux inégalités sociales dans La Maison de Mama Ghoula de Dounia Charaf. Kaoutar Ben Addi montre comment les saveurs révèlent les fractures sociales et culturelles dans Notre-Dame du Nil d’Atiq Rahimi.

L’approche linguistique n’est pas en reste. Hamid El Arnabi, dans Du couteau au verbe, explore l’arsenal culinaire dans la violence verbale française, tandis que Sana Bourbi analyse la nourriture dans les expressions idiomatiques et leurs caractéristiques sémantiques.

Le cinéma et la création artistique sont également convoqués. El Mahdi El Azhar et Ikhlas Saidi proposent une lecture originale du Pianiste de Roman Polanski à travers la figure tragique de la pia-nourriture, double symbolique du pain et du piano.

Le numéro se clôt par deux recensions. La première, signée par Mounir Oussikoum, est consacrée à l’ouvrage de Bernadette Rey Mimoso-Ruiz, Mbarek Ould Beyrouk : du désert et des hommes (L’Harmattan, 2024) ; la seconde, signée par Jalila Mraouhi, porte sur l’ouvrage «في المسألة الشبابية » du sociologue Mostafa Mohsine.

À travers cette pluralité de voix et de disciplines, le numéro 7 (2025) démontre que les nourritures terrestres et spirituelles répondent à une même exigence fondamentale : celle d’exister, de se reconnaître et de donner sens au monde. Un numéro riche, dense et profondément humain, où manger devient un acte de culture, de mémoire et de résistance.

Nᵒ 7 (2025) : Nourritures terrestres et spirituelles

https://journals.imist.ma/index.php/RLAL/issue/view/397

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